Céline, la nouvelle aide-soignante
Céline n’a jamais approché de patients souffrant comme souffrent les grands brûlés. Et avant sa journée d’observation, elle n’avait jamais vu une brûlure. « Je m’étais faite une autre idée… Je pensais que c’était un plus ‘hard’ », nous dit-elle deux semaines après son arrivée. Céline ne réalise pas encore à quel point le travail dans ce service est difficile.
Céline se révèle au contact de plusieurs soignants : d’Emilie, l’aide-soignante bienveillante et enjouée, de Sandrine, la kiné qui « fait de la brûlure depuis 25 ans » et de Sabrina, la psychologue, qui l’aide à mettre des mots sur ses maux. Ces soignants ne sont pas n’importe qui. « On ne vient pas par hasard au CTB, il faut avoir le cœur bien accroché », m’a dit l’un d’eux.
Emilie, l’aide-soignante « tutrice »
Avec Céline qui débute, Emilie est patiente, posée, mais aussi précise et rigoureuse. Elle fait passer cela avec sa légèreté, son sourire et son humour. « Il faut que ce soit juste artistique, beau… comme si tu emballais un beau petit cadeau », dit-elle ainsi à Céline après l’avoir reprise car elle n’avait pas compris comment changer un drap. Et d’ajouter à la patiente « N’est ce pas, Madame Timothée, vous êtes notre petit cadeau ». Son empathie déborde. Emilie aime ses patients et son travail. Ses mots se font caresses. Ses gestes aussi. Elle passe beaucoup de temps à masser les patients, leurs jambes, leurs mains. Dans ces moments-là, les paroles deviennent inutiles. Elle est aussi celle qui met de l’ambiance au sein de l’équipe.
Emilie est un visage. Lumineux. Le mot est fort mais s’impose. Cette jeune femme inspire d’emblée la sympathie. Jeux de mots, grimaces, mimiques, Emilie veut faire rire ou sourire les patients… Mais parfois, certaines de ses grimaces traduisent autre chose ; l’effort que le simple fait de parler représente. Car Emilie est bègue. Et les mots qui soignent les patients semblent parfois la faire souffrir.
Sandrine, la kiné
Dans les réunions de staff auxquelles elle assiste, Céline est impressionnée par Sandrine, la kiné. L’expérience de Sandrine -50 ans dont 25 passés auprès de grands brûlés- fait d’elle une interlocutrice essentielle, y compris pour les médecins, pourtant bien plus diplômés. Elle participe à toutes les réunions, y compris la réunion hebdomadaire qui réunit tous les chefs de service. Elle ose remettre en cause les décisions qu’elle ne comprend pas et qu’elle trouve inappropriées.
Elle est un point fixe, un repère. Elle connaît tout mais ne se met jamais en avant. Elle est celle vers qui on adresse ceux qui viennent découvrir le centre. Elle est d’ailleurs une des premières personnes que j’ai rencontrées lorsque j’y suis arrivée en 2012. On voit d’elle d’abord sa mèche, inexorable mèche de cheveux qui la gène parfois lorsqu’elle travaille mais qu’elle n’attache pourtant pas. En 1992, son diplôme à peine en poche, elle a commencé sa carrière au service de chirurgie plastique à l’hôpital Rothschild. « On m’a présentée la personne la plus défigurée du service et on m’a dit ‘Si vous vous sentez prête, allez y car personne ne veut rejoindre ce service !’ » Elle prend ça comme un challenge. « Ce qui m’a plu dans la brûlure et ce qui me plait toujours, explique Sandrine, c’est qu’au-delà de l’image terrible, il y a des gens. Des hommes et des femmes qui me touchent et des histoires où la psychologie est très importante. On n’est pas là uniquement pour faire un geste technique. Il y a beaucoup d’autres choses autour… » Pour Sandrine, l’équipe est une seconde famille. Elle le dit. Autour d’elle et du professeur Mimoun, ils sont un petit nombre de médecins, infirmiers, aides-soignants à travailler ensemble depuis 25 ans. Ce groupe s’est réduit d’année en année mais il est essentiel dans la vie et le fonctionnement du centre.
Les autres kinés qui passent dans le service ne restent pas. Sandrine estime que c’est aussi lié aux faibles rémunération au sein de l’AP-HP : les kinés viennent se former puis partent « faire du libéral en cabinet ».
Sabrina, la psychologue
Psychologue clinicienne, Sabrina est celle qui arrive à mettre des mots sur la détresse, voire la sidération qu’éprouve Céline dans ce lieu si violent. Elle lui permet de libérer sa parole… Elle est aux côtés de Céline qui accueille la famille d’un patient qui rend visite pour la première fois à un proche qui vient d’être hospitalisé.
Sabrina est d’abord une voix. Et ça tombe bien, l’instrument de travail de cette psychologue clinicienne, tout juste trentenaire, c’est sa voix. Une voix lente, posée, un peu grave aussi. Elle vient en dehors des moments de soins, dans un moment à part pour le patient. Elle se rend aussi auprès des plus atteints, inconscients, qui ne peuvent pas parler. Pour eux, elle est avant tout une présence. Elle les touche, décrit ce qu’elle ressent. A ceux qui peuvent boire, elle apporte de l’eau. Des soins primaires. « Comme à des nouveaux nés », dit-elle. De la maternité à la brûlure, c’est justement le chemin qu’elle a suivi, elle qui a commencé sa vie professionnelle auprès des jeunes mères et de leurs nourrissons. « Même quand ils ne sont pas réveillés, c’est important de leur parler, de leur expliquer où ils sont », insiste t-elle en parlant des grands brûlés. Elle fait aussi le lien avec les familles, transmet les appels téléphoniques. Elle amène un peu de vie extérieure. Mais par petites touches car les patients sont vite débordés par leurs émotions.
Les patients grands brûlés
Le film se construit sur le geste et sur la parole des soignants, à travers ce qu’ils vivent, ce qu’ils font, ce qu’ils se disent entre eux. Les patients sont là puisque ce sont eux qui donnent un sens au travail des soignants et à celui de Céline. Mais on les voit peu. Céline est touchée par leur situation. Leurs cauchemars, leurs moments de déprime et leurs petites joies ont une incidence sur elle. On comprend aussi qui sont les brûlés. On capte des bribes d’histoire, de récits sur lesquels je ne m’attarde pas. Au fil du film, notre regard sur eux évolue en même temps que celui de Céline.
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