J’ai rencontré pour la première fois le professeur Mimoun dans son bureau du rez-de-chaussée du Centre de traitement des brûlés en 2007. J’ai pris rendez-vous avec lui parce que je m’intéressais à la brûlure. Journaliste à Paris-Match, je souhaite alors effectuer un reportage en immersion dans son service et décrire la vie de ses équipes et des patients suivis sur place. J’ai lu déjà sur la brûlure. Des récits, des témoignages. La peau me fascine, la manière dont elle évolue, dont elle vieillit aussi. La manière dont elle réagit aux chocs, aux blessures, aux brûlures. La manière dont elle se reconstruit, dont elle repousse. Les traces qui restent aussi de toutes les épreuves traversées…
Lorsque j’avais 4 ans, ma mère avait renversé une casserole d’eau bouillante sur mon épaule gauche. Un banal accident domestique mais qui est inscrit dans ma mémoire et fait partie de la légende familiale. M’en est restée une cicatrice boursoufflée sur l’épaule.
D’emblée, la confiance s’est établie avec le professeur. Une confiance réciproque. Il est partant pour ce reportage mais me demande d’attendre. Il a un grand projet : la création d’un nouveau centre pour les brûlés, un centre –le premier en Europe- entièrement imaginé et pensé pour ces patients si particuliers.
A l’automne 2012, quelques semaines après l’inauguration, je commence, avec le photographe Hubert Fanthomme, un reportage en immersion dans le service. Nous y passerons six mois. Et combien de fois ai-je regretté de ne pas avoir de caméra pour saisir ce qui se jouait dans ce service… Le résultat sera la publication d’un long reportage dans Paris-Match.
Le professeur et moi avons noué une relation particulière. Fin 2017, nous nous retrouvons lorsqu’il réalise, avec son équipe, une première mondiale : un grand brûlé à 95 % a défié la mort grâce à des greffes de son jumeau. C’est à ce moment-là que l’idée dece filmm’est venue. J’avais envie depuis plusieurs années déjà d’aller plus loin, mais sous une nouvelle forme. De retrouver les soignants qui travaillent et vivent dans ce service. De témoigner de leur engagement au quotidien. Et de m’interroger sur le sens de ce qui se passe dans ce lieu.
J’y suis retournée avec l’envie de faire ce film. J’y ai passé à nouveau du temps pour écrire ce projet. Le professeur Mimoun bien sûr me fascine. Je suis entrée dans ce service avec lui et pour lui. Mais j’y suis restée pour Céline, Emilie, Sandrine, Sabrina et les autres. Ils font partie de cette équipe d’une centaine de personnes qui s’activent pour sauver des vies. Il y a dans ce centre quelque trente corps de métier : des infirmiers, des aides-soignantes, mais aussi une kiné, des internes et des externes, une psychiatre, une psychologue, des assistantes sociales, etc. Une somme de compétences invraisemblables…
Lors de mes repérages vidéo, j’ai rencontré Sabrina, la psychologue. Elle s’est beaucoup interrogée sur sa propre pratique auprès de patients gravement brûlés. Et s’apprête à commencer une thèse sur ce sujet. Ses écrits nourrissent mon projet de film documentaire et m’inspirent. Nous avons poursuivi nos échanges par mails. « J’explore les limites et les difficultés de mon travail auprès des patients, m’écrit-elle ainsi. Je réfléchis comment nous ‘bricolons’ notre pratique en fonction des patients, de leurs pathologies et des possibilités liées aux spécificités du service. J’essaie de prendre appui sur le corps et les aspects sensoriels dans un premier temps, pour arriver aux mots. » Ses réflexions m’aident aussi à savoir quoi regarder.
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